La croix au carrefour des chemins
Lieux de rassemblement et de célébration, les croix rurales ont une fonction sacrée au sein des communautés villageoises. Raconter leur histoire, rappeler leur signification, peut conduire à considérer d’un regard neuf cet héritage riche de sens.
En France, la plus humble croix a son histoire, sa légende, sa raison d’être. Vestiges éloquents, ces dizaines de milliers de croix qui quadrillent notre pays nous lancent un message par-delà l’oubli dans lequel la société moderne les a plongés. Par leur présence, leurs inscriptions, leur symbolique, elles parlent à tout le monde sur tous les tons et dans tous les styles. Ces représentations de la crucifixion du Christ sont en somme un résumé illustré des signes vivants de l’héritage chrétien de notre pays.
Devant un tel spectacle, nous pouvons dire qu’aujourd’hui encore, la croix chrétienne resplendit partout sous le ciel de France. Dans les campagnes environnantes lors d’une promenade, voyons tout simplement en esprit les calvaires monumentaux ou les innombrables croix qui émaillent notre territoire et occupent nos imaginaires. Faites de marbre, de schiste, de granit, de bois ou de fer forgé, il est aisé de les reconnaître. Ce sont ces croix anciennes qui pointent fièrement leur fleuron vers le ciel, avec une assurance qu’elles ont gagnée avec le temps, et qui ont investi les lieux et les consciences depuis tant de siècles. Elles sont au bord des chemins, aux croisements des routes, la frontière d’un champ, près des chapelles et des fermes. D’autres, invisibles pour le simple badaud, sont cachées malgré elles sous les ronces, renversées dans le fossé longeant la route ou piquées par le temps. Il suffit de les regarder pour trouver en elles un trésor inestimable.
Ce monument : est-ce un calvaire ou une croix ?
On appelle “croix” une pierre monolithe et taillée portant (ou non) le Christ, crucifié ou glorieux. Au revers ou contre le fût, on peut également y trouver sculptée une Vierge à l’Enfant, des personnages ou une pietà. Si l’on prend la peine de s’approcher, il est possible de lire de multiples inscriptions : l’abréviation “INRI” (“Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum” signifiant “Jésus le Nazaréen, roi des Juifs”), la mention de l’événement ayant motivé son érection ou bien la marque du constructeur. De la modeste croix paysanne à l’œuvre d’art aboutie, elles se trouvent partout en France et notamment en Bretagne, comme en atteste Alfonso R. Castealo en 1929 : « Il semble qu’aucune autre terre, à l’exception de la Galice, ne compte autant de croix que la Bretagne ni de représentations aussi variées de ce symbole fondamental. », dans son ouvrage Les croix de pierre en Bretagne.
En parallèle des croix, il existe aussi, en plus petit nombre, des calvaires. Ces derniers qui tirent leur nom du mot latin calvarium (traduction de l’araméen “Golgotha”, voulant dire “lieu du crâne”) sont des monuments beaucoup plus imposants, surélevés sur une petite butte rappelant le Golgotha, lieu où le Christ a été crucifié.
La croix : toute une histoire !
Attestée dans les sources à partir de la fin du IIe siècle, la croix ne devient le principal emblème et symbole de la chrétienté qu’à partir du IVe siècle, sous le règne de l’empereur Constantin. Craignant que ce signe ne les livre aux persécutions romaines, les chrétiens des premiers siècles ont utilisé à la place le poisson qui en grec s’écrit “IXΘYΣ” [ichthus], qu’ils ont pris comme acronyme de Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr, c’est-à-dire “Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur ».
L’adoration de la Croix par les chrétiens (la staurolâtrie) se développe ensuite progressivement. L’Orient chrétien s’est couvert de monuments symbolisant la crucifixion dès les VIe et VIIe siècles tandis que l’on observe leur apparition en
Occident autour du IXe siècle.
Les croix se multiplient tant et si bien qu’à la fin du XIIe siècle, elles constituent un élément presque banal du paysage rural. Sous le règne de Louis IX, Philippe de Beaumanoir en porte le témoigne : « coustume est en moult de liex qu’on fet crois de pierre ou de fust es quarrefors des quemins ou en autres liex. » Toutefois, l’affirmation des croix dans l’espace ne s’est pas faite sans difficultés. Jusqu’au XIe siècle, si l’on se fonde sur les textes, crux doit se tailler une place dans un univers de pierres chargées de significations diverses. Le XIIIe siècle marque véritablement un tournant dans le Royaume de France car une tendance déjà sensible cent ans plus tôt s’affirme de plus en plus : la diffusion généralisée des croix.
Ces monuments sont donc érigés à la demande de communautés religieuses, d’autorités paroissiales et parfois même de quelques pieux laïcs qui se consacrent aussi, comme à un métier. Dès 1371, le procès en canonisation de Charles de Blois nous dévoile un espace investi par des signes sacrés. Le prince les vénère comme des symboles du contenu essentiel de sa foi (le sacrifice et le triomphe du Christ) sans trace aucune du vieux culte des pierres sacrées.
Pour une valorisation des croix et calvaires en France
Lors de la Révolution Française, une grande partie de ces croix à l’histoire aussi sacrée que légendaire, a été déplacée ou détruite. Suites à ces destructions anarchiques, certains monuments ont été reconstruits en bois ou en béton armé à partir du début du XIXe siècle. Mais les pillages, les guerres, le remembrement des territoires, le passage du temps et le manque d’entretien continuent de peser sur ces lieux de recueillement. Ces références visuelles, présentes sur notre territoire depuis au moins un millénaire, méritent pourtant que l’on se préoccupe d’elles !
Plusieurs associations dans différentes régions ont pris en charge leur étude et recensement et nous pouvons compter sur “SOS Calvaires” pour restaurer, fabriquer et installer de nouvelles croix partout en France.
Nous avons enfin notre partition à jouer dans tout cela : Croix de chemin – cultiver individuellement la richesse de notre patrimoine en nous intéressant aux croix près de chez nous, en allant découvrir leur histoire, quitte à les remettre au goût du jour si elles ne se font plus. Soyons imaginatifs, la France nous le rendra.